Et si on arrêtait de s’embêter ? Pourquoi continuer à faire ce qui semble inutile ?
La valeur ajoutée et la pertinence du processus budgétaire sont souvent mises en doute au sein des entreprises. En général, il est peu populaire et souvent considéré comme un mal nécessaire. Le supprimer éviterait fatigue, perte de temps, stress et maux de têtes.
D’accord ? Pas d’accord ?
D’accord !
Le processus budgétaire est long, lent et peu engageant. Il est trop souvent vécu comme une série d’aller-retour, entre le top management et le middle management, donnant l’impression que l’un cherche à gonfler les ventes et réduire les coûts tandis que l’autre souhaite le contraire. Le constat est que les propositions du niveau opérationnel sont fréquemment exagérées et qu’au bout du compte, les dirigeants imposent de toute façon leurs idées. C’est donc soit un jeu de dupes, soit une négociation avec perdants.
Le processus budgétaire est souvent déconnecté de la réalité et se limite à exiger de remplir des tableaux de chiffres ou alimenter un logiciel financier. Cela rassure parfois les administrateurs et actionnaires mais n’apporte que des contraintes à ceux qui doivent transformer les chiffres en actions concrètes et obtenir des résultats. Les uns ont l’illusion de contrôler la situation (alors qu’elle est susceptible de changer en permanence), les autres ont l’impression d’être incompris et de devoir affronter, seuls, la réalité changeante.
Le budget est composé d’objectifs rigides. Les responsables sont jugés et évalués sur l’atteinte (ou pas) d’objectifs fixés plusieurs mois à l’avance. Et les contrôleurs de gestion passent leur temps à analyser les écarts et produire des rapports « expliquant ce qu’il aurait fallu faire dans le passé ». Tout cela affecte négativement la motivation de tous.
L’utilisation de plus en plus fréquente de tableaux de bord stratégiques (type « Balanced Scorecard ») permet de suivre l’état de santé et la performance de l’entreprise en se focalisant sur un nombre limité d’indicateurs, rendant les budgets détaillés inutiles.
Les budgets annuels ne tiennent pas assez compte du monde volatile, incertain, complexe et ambigu (VUCA) dans lequel nous évoluons. Les nouvelles formes d’organisation et les méthodes agiles nous invitent à adopter une approche d’amélioration continue et à répondre au changement quand il émerge plutôt que de suivre un plan prédéfini.
Pas d’accord !
Le processus budgétaire est l’un des seuls (si pas le seul) processus qui concerne et impacte tout le monde dans l’entreprise. Il offre, de ce fait, une formidable opportunité d’inclure un maximum de collaborateurs dans la construction d’objectifs communs.
Le budget est un outil qui traduit la vision, l’ambition et la stratégie de l’entreprise en objectifs concrets, « actionnables » et financiers.
Construire un budget c’est anticiper le futur, ce qui, d’une part, sécurise un certain nombre de personnes et, d’autre part, nous exerce à choisir comment nous voulons influencer ce qui va (nous) arriver dans les mois à venir. L’exercice budgétaire donne des repères et s’inscrit dans une démarche volontariste.
Il oblige les différents départements de l’entreprise à se parler et à intégrer les contraintes mutuelles et spécifiques.
Le processus budgétaire a aussi un rôle de responsabilisation. Comme la découpe budgétaire correspond à la structure hiérarchique de l’organisation, l’attribution de budgets à différents niveaux de l’entreprise est une délégation de responsabilité, notamment financière.
Et alors ?
En fait, le titre de l’article ne pose pas la bonne question.
Les partisans du maintien d’un processus budgétaire se réfèrent aux promesses qu’il porte, aux principes qu’il véhicule et aux bénéfices potentiels qu’il apporte. Ses détracteurs font référence à une mise en œuvre inefficace et une pratique devenue routinière et dépourvue de sens.
La question est plutôt : « comment faire pour mobiliser, concrètement, les collaborateurs autour d’un projet commun, qui donne du sens à leurs actions et les fait participer aux décisions qui les concernent ? »
Quelque soit l’organisation dans laquelle nous travaillons (y compris entreprises libérées, humanistes, « teal », holacracy, fortement décentralisées, à structure « aplatie » ou en réseau), nous trouvons des bénéfices à :
- Prendre du recul par rapport au travail quotidien et se réunir régulièrement en tant que membre d’un collectif.
- Participer à un processus de cohésion et d’inclusion.
- Echanger et confronter ses idées pour intégrer les différents points de vue dans un processus créatif.
- Faire des choix par rapport à ce qui nous impacte professionnellement, en connaissant les contraintes (notamment financières) et en suivant un processus de prise de décision transparent.
Ce sont exactement les avantages et possibilités qu’offre un processus budgétaire bien mené.
Cependant, pour obtenir ces résultats, il y a lieu de respecter au moins cinq conditions :
- Le budget doit être la traduction opérationnelle de la stratégie, de manière à y insuffler ambition et élan.
- Il faut définir, au départ du processus, le degré de granularité adéquat, c’est-à-dire le niveau de détail nécessaire pour prendre des décisions.
- Le temps consacré à l’exercice budgétaire doit être raccourci et le rythme accéléré de manière à créer un processus dynamique et productif.
- Il faut, d’une manière ou d’une autre, inclure ceux qui devront réaliser concrètement les objectifs définis.
- Le « contrôle budgétaire » doit, avant tout, être l’occasion d’intégrer le changement et de s’y adapter, plutôt qu’une évaluation de performance.
Il est probable, qu’à l’avenir, les entreprises qui n’iront pas vers un processus budgétaire collaboratif feront face au manque d’engagement et à une diminution de la motivation de leurs travailleurs. Avec des conséquences néfastes sur leur performance économique.
Ce sont les organisations qui choisiront de développer une approche collaborative du processus budgétaire, d’en clarifier les attentes et contraintes, d’y favoriser transparence et flexibilité, qui redonneront au budget toute sa pertinence. A leur plus grand avantage.
Michel Van den Borne